Cher(e)s collègues du LADL,

Je ne me sens pas qualifié pour prononcer un éloge scientifique de Maurice Gross, tels que plusieurs qui ont déjà paru dans la presse ou sur le web. Plus modestement, mais très sincèrement, j'ai à cœur de vous dire ma tristesse, et de vous manifester ma compassion à l'occasion de sa disparition.

Ce maleureux événement m'affecte profondément. J'ai en effet rencontré Maurice dans le courant des années 60, lorsqu'il dispensait un enseignement à la Faculté d'Aix-en-Provence. J'ai eu alors le double privilège, dans le contexte d'un séminaire restreint et très vivant, - et même animé ! -, de m'initier aux grammaires formelles ainsi qu'à l'analyse transformationnelle de la phrase, grâce aux matériaux et aux analyses que Maurice allait publier dans son ouvrage avec André Lentin, et dans sa thèse sur le verbe ; et cet autre privilège de débuter des relations de chaude camaraderie, et je puis dire je crois d'amitié, discontinues mais régulières au cours de toutes les années suivantes. Je puis témoigner du fait que sur ces deux plans, intellectuel et interindividuel, ce climat m'a accompagné jusqu'à aujourd'hui. Je n'avais pas connaissance de l'état de santé récent de Maurice, et sa disparition m'a frappé à l'improviste, accentuant encore la portée du coup.

J'avais revu Maurice pour ce qui allait s'avérer être la dernière fois en Avril 1999. Il était venu à Toulouse pour faire une communication dans le cadre d'un congrès sur l'histoire de l'informatique, et il y avait traité de celle de la traduction automatique, en résonance ainsi avec ce qui avait été sa première préoccupation. Il avait aussi fait un exposé très suivi au séminaire de l'IRIT, mais le plus important pour ainsi dire est que nous avons alors passé (avec aussi Colette Ravinet ; nous nous connaissions tous trois depuis 1975) un après-midi, une soirée et la matinée suivante en libres conversations, linguistiques ou autres, et en promenades dans le Lauragais que Maurice ne connaissait pas, et dont il a aimé les paysages apaisants et les austères villages oubliés. Nous avons aussi naturellement pratiqué les plaisirs de la table : je n'ai pas souvenir d'un passage de Maurice dans la région toulousaine, en quelque saison que ce soit, sans qu'il n'ait réclamé un cassoulet, et cette fois encore nous avons pu satisfaire au mieux son goût, et même lui faire découvrir les vins du Frontonnais qu'il a particulièrement appréciés ; il appréciait visiblement aussi le fait de découvrir un vin inconnu ...

Cet ultime souvenir que nous conservons de Maurice, je ne l'ai évoqué que pour vous dire de manière plus sensible notre peine et nos regrets, et aussi que nous pouvons comprendre les vôtres. Mais je veux conclure en vous disant aussi mon admiration pour l'inestimable projet scientifique porté par Maurice, et ma profonde estime pour ceux qui, comme vous au LADL, y contribuent, de manière irremplaçable.

Jacques Virbel